TECHNOLOGIE CULTURELLE

TECHNOLOGIE CULTURELLE
TECHNOLOGIE CULTURELLE

La technologie culturelle se distingue de la technologie tout court en ce qu’elle tente d’établir les rapports entre les techniques et les phénomènes socioculturels. Un manuel décrivant le traitement des betteraves afin d’en extraire et cristalliser le sucre naturel relève de la technologie pure. Par contre, lorsque l’on cherche à analyser les transformations sociales dues à l’introduction de la betterave à sucre dans la campagne irlandaise, il s’agit de technologie culturelle. Parfois l’ethnologue est amené à fournir lui-même la base purement descriptive. Les techniques de filage et de tissage du coton dans un village indonésien sont à décrire et à inventorier minutieusement (technologie) avant que l’on puisse les situer par rapport à l’ensemble des procédés techniques et aux processus généraux de production (technologie culturelle).

Classer les techniques avant de les étudier n’est pas uniquement un problème formel. Les techniques obéissant à des lois d’évolution propres, constituer des ensembles cohérents est essentiel à la compréhension de cette évolution. C’est ainsi qu’étudier tous les marteaux puis tous les soufflets ne permettra de saisir ni les raisons de la transformation historique d’une forge dans un pays donné, ni la place des techniques de la forge parmi les techniques générales de métallurgie de ce pays. Il est donc nécessaire en l’occurrence d’opérer deux classements, partant chaque fois des outils et des matériaux eux-mêmes. Un premier classement ordonne les différentes manières de frapper et de modeler la matière: l’outil peut être posé d’abord sur le matériau, ce qui facilite la précision du geste; il peut être lancé vers l’objet, ce qui augmente la force de la percussion; ou, enfin, il peut être posé sur le matériau, puis frappé, ce qui allie la précision à la force.

Une fois mis en place les caractéristiques des outils d’après le type de percussion et les autres moyens (feu, eau, vent, force) de transformer la matière, il est possible de constituer des ensembles. Ceux-ci représentent les efforts de l’homme pour fabriquer des objets et des outils (techniques de fabrication) devant lui servir à acquérir les moyens de subsistance (techniques d’acquisition), qu’il consomme (techniques de consommation). Ainsi, dans la montagne libanaise, la maîtrise des procédés métallurgiques permet de fabriquer des houes et des socs d’araire; puis ces instruments agricoles sont utilisés pour cultiver des végétaux; enfin, les villageois libanais se nourrissent de ces plantes au moyen de techniques alimentaires qui leur sont propres. Naturellement, chaque ensemble technique présente une certaine cohérence. Un soc en acier finement forgé risque peu de se trouver fixé sur un bâti de charrue rudimentaire et grossièrement assemblé. Cette même cohérence se retrouve dans l’évolution des outils et des techniques. Il est inimaginable que la conquête de l’énergie atomique se fasse avant que les procédés de fabrication de l’acier aient bénéficié d’un très grand développement. Parfois, la nature facilite le développement technique. La découverte et le travail de la fonte de fer en Chine, quelque dix-huit siècles avant l’emploi de la fonte en Occident, sont sans doute dus en grande partie à la présence sur le sol chinois de minerais de fer à haut contenu de phosphore.

Les rapports entre techniques et phénomènes culturels sont principalement de trois sortes. La diffusion d’inventions, par exemple, s’opère souvent par le mouvement de peuples, et se pose alors le problème des effets de l’introduction dans un milieu technique homogène d’un objet ou d’un outil élaboré ailleurs. Ou encore, l’ambiance générale qui se dégage d’un procédé technique peut se refléter au niveau social. Par exemple, en Occident, les techniques d’élevage du mouton appellent une intervention constante de la part du berger: marquage, tonte, conduite des troupeaux, etc.; en revanche, l’élevage en Chine se pratique sur des animaux tels que le buffle, sans intervention notable de l’éleveur. En Occident, le concept du bon gouverneur est celui d’un chef, d’un meneur de «troupeau» ou de quelqu’un qui intervient judicieusement dans la vie de ses gouvernés; en Chine, meilleur est le gouverneur, moins il intervient dans la vie de ceux dont il a la charge. Ou enfin, une troisième sorte de rapport peut être établie, qui relève du domaine de l’évolution générale des sociétés humaines. Les études anthropologiques démontrent que le passage d’un stade de chasse et de cueillette à un stade d’agriculture et d’élevage ne se fait pas sans augmenter considérablement le temps et l’énergie que l’on doit consacrer à des activités de subsistance. Tenter d’expliquer cette évolution technique ne peut se faire sans une analyse sociologique; c’est donc à l’aide des notions d’économie politique que s’établissent les rapports étudiés par la technologie culturelle.

1. Dimensions et concepts

La technologie culturelle est présentée parfois comme devant se limiter aux techniques des peuples d’outre-mer, ou des peuples étudiés par l’ethnologue. Mais il n’est plus possible, s’il l’a jamais été, de restreindre cet objet d’étude, et, partant, de définir la technologie culturelle comme étant l’analyse des techniques exotiques. En même temps que s’évanouissent les frontières entre ethnologie et sociologie et que se dessine la seule différence justifiable séparant ces deux sciences (l’ethnologue raisonne inductivement et le sociologue déductivement), disparaît l’ancienne distinction de fait entre technologie et technologie culturelle. Celle-ci prend alors sa véritable dimension qui est l’étude des rapports entre les techniques et les phénomènes socioculturels, bien que souvent le même observateur fournisse la description technologique sur laquelle s’appuiera l’analyse de technologie culturelle. Cette dernière n’est pas faite d’études économiques, quelle que soit la nécessité de parfaire une analyse de techniques avec une analyse économique. Les activités techniques humaines s’insèrent dans des réseaux de production et d’échange. Les objets produits peuvent être analysés alors sous deux aspects, celui de leur valeur d’usage et celui de leur valeur d’échange. D’une façon très schématique, on dira que l’économie étudie la circulation des objets considérés dans leur valeur d’échange, tandis que la technologie culturelle les étudie en tant que valeurs d’usage. Dans les deux cas, il faut tenir compte des rapports sociaux qui naissent des structures de production. L’arbitraire de ce partage ressort d’une manière évidente, par exemple dans une étude des moyens de transport. Elle relève d’une part de la technologie par son objet et l’insertion de celui-ci dans une série de techniques d’acquisition de fabrication ou de consommation, et d’autre part de l’économie par le but qu’elle recherche.

Il faut lever, enfin, une dernière équivoque: est technique toute série d’actions qui comprend un agent, une matière et un outil ou moyen d’action sur la matière, et dont l’interaction aboutit à la fabrication d’un objet ou d’un produit. La distinction est importante, car s’il est possible de ranger les gestes dans une étude de techniques, bien que l’agent, la matière et leur produit soient réunis en un seul objet, le corps humain, elle empêche toute confusion avec des comportements sociologiques. Il ne peut exister de «techniques» sociales.

2. Le traitement de la matière

Une fois écartés les problèmes d’épistémologie, comment aborder l’étude des techniques? L’intervention de l’observateur devant être minime, c’est par les caractères intrinsèques des moyens et des outils qu’il faut opérer un premier classement. Puisqu’une technique est formée de l’association matière, outil et agent, on peut commencer avec l’analyse des différentes façons de transformer la matière. Il s’agit essentiellement des percussions. Une percussion est posée lorsque l’outil est placé sur la matière à modeler ou à débiter avant que ne s’exerce la force des muscles. L’effet peut donc être extrêmement précis, mais est limité aux possibilités de contraction des muscles humains. Une percussion est lancée lorsqu’on ajoute à la force des muscles l’énergie cinétique d’un objet, tel un marteau, en mouvement. L’effort gagne en force ce qu’il perd en précision. Une percussion est dite posée avec percuteur lorsqu’on place l’outil sur la matière avant de la frapper avec un instrument lancé. Elle représente une des grandes inventions de l’humanité, car, à la précision du couteau, par exemple, on ajoute l’énergie cinétique d’un marteau. C’est une technique qui permet les finesses d’une gravure sur bois même lorsqu’il s’agit d’un bois très dur dont le débitage exige une certaine force pour frapper. Il est possible d’affiner ce classement des percussions en précisant si l’angle d’attaque aboutit à l’éclatement de la matière (percussion perpendiculaire) ou à la perte d’une partie de sa substance (percussion oblique). Enfin, on peut encore classer les outils d’après la nature de leur surface percutante. Celle-ci est soit tranchante (tranchant longitudinal lorsqu’il prolonge l’axe du manche, transversal lorsqu’il est perpendiculaire à cet axe), soit punctiforme, soit diffuse (cf. A. Leroi-Gourhan, L’Homme et la matière ).

Il existe d’autres moyens de dompter la matière. Le feu intervient dans maintes techniques de fabrication. L’eau est utilisée aussi bien pour assouplir des matériaux rigides que pour dissoudre des matériaux cristallins. L’air, enfin, est employé pour déshydrater.

Toute action technique exige une source motrice et la forme des outils reflète souvent la recherche d’une meilleure utilisation de l’énergie disponible. Il existe, par exemple, plusieurs procédés pour augmenter et conserver l’énergie humaine. Les instruments de percussion lancés à deux mains, où il s’agit de levier de seconde forme (le point d’action est en avant du point d’appui), augmentent leur efficacité quand on allonge le manche; ce qui a pour effet d’accroître considérablement l’énergie cinétique due à l’accélération au moment de la frappe et d’amplifier par l’effet de levier le poids de la tête. Parmi les outils faisant appel au levier de la première forme (point d’action et point d’application de la force séparés par le point d’appui), on peut citer les roues à godets des moulins à eau, certaines formes de tarière et la clef anglaise. Les mouvements circulaires appartiennent à une catégorie spéciale car, non seulement ils font souvent appel au principe du levier pour augmenter la force employée, mais aussi ils témoignent de l’aboutissement des efforts pour transformer les mouvements rectilinéaires inefficaces en mouvements circulaires efficaces. Enfin, il existe toute une série d’outils et de machines qui font appel aux propriétés d’élasticité de la matière pour mettre en réserve de l’énergie: arc, ressort,...

Ces classements dégagés de tout préjugé culturel, laissant s’articuler naturellement entre eux outils et moyens, sont évidemment abstraits par rapport au contexte socioculturel; autrement dit, ce sont des éléments neutres qui permettront d’élaborer les ensembles techniques, et dont l’articulation caractérisera les groupes humains à la fois dans le temps et dans l’espace. Mais il peut être déjà intéressant au niveau des éléments de faire appel aux taxinomies indigènes, afin d’avoir un premier aperçu des ensembles techniques fonctionnels dans un contexte spécifique. Il n’est pas sans intérêt que la langue française distingue entre une hache et une cognée, mais garde le terme «couteau» pour une grande variété d’instruments. Ce type d’étude fait appel aux concepts et méthodes de l’ethnoscience et de la sémiologie.

Les gestes ont autant d’importance que les outils dans le domaine de la technologie culturelle. C’est en fait la libération de la main par l’usage d’outils qui permit l’hominisation. En quelque sorte, l’homme est homme parce qu’il emploie des outils, et l’outil, pour reprendre la distinction de Lewis Mumford, se différencie de la machine en ce qu’il est la prolongation de la main de l’homme. Les gestes humains, donc, et le champ opératoire déterminé par la longueur du bras humain, sont importants pour analyser les techniques. Dans l’analyse du geste, il n’est pas indifférent non plus de préciser si l’outil est tenu à la main et donc mobile, ou si c’est l’objet à travailler qui est mobile et l’outil fixe, comme dans certaines régions de Polynésie où le décorticage des noix de coco se fait sur un pieu fiché en terre. Dans les deux cas, le geste et la force employée sont pratiquement identiques mais, en immobilisant l’outil, le Polynésien n’a pas à le poser entre chaque passage de noix de coco.

Les ensembles techniques peuvent être classés en trois groupes: les techniques de fabrication, les techniques d’acquisition et les techniques de consommation. Mais, à ce classement très fonctionnel, il faut en superposer un autre, qui tient compte de critères sociologiques et, de ce fait, situe mieux les faits dans leur contexte socioculturel. Ce nouveau classement partage les techniques en trois catégories. Une première catégorie réunit les techniques qui créent des rapports sociaux, celles dont les éléments s’articulent les uns par rapport aux autres de telle sorte qu’elles ordonnent les rapports sociaux des hommes entre eux. Une deuxième catégorie réunit les techniques qui, au contraire, reflètent ou expriment des rapports sociaux mais ne les créent pas; ce sont essentiellement des techniques de consommation, tel l’établissement humain, ou encore des techniques de transport. Il existe enfin une troisième catégorie où l’on pourrait ranger les techniques de la vie quotidienne: cuisson, alimentation, ménage, qui peuvent effectivement créer des rapports sociaux, mais à un bien moindre degré que les techniques de fabrication, et qui, en général, reflètent simplement des aspects de la vie sociale.

3. Techniques de fabrication

Les histoires générales classent souvent les techniques d’après leurs fonctions, traitant de la métallurgie, de la céramique, de la vannerie, etc. Si cette méthode descriptive permet d’aborder avec pertinence les techniques d’un groupe donné, elle présente par contre de graves inconvénients dès lors qu’il s’agit d’analyse générale, car elle risque de masquer la cohérence globale des ensembles. En effet, les caractères intrinsèques d’un matériau conditionnent son traitement et, de ce fait, les ressemblances ou les différences entre techniques. Ainsi classe-t-on les matières en solides stables, solides fibreux, solides semi-plastiques, solides plastiques, solides souples, et fluides.

Les solides stables sont ceux dont les propriétés physiques ne changent pas en cours de traitement. Leur modelage doit se faire soit par l’éclatement brut de la matière, soit par son usure. Les plus vieux témoins qui restent de l’activité humaine sont le résultat d’un traitement de solides stables: ce sont les silex taillés de la préhistoire. Il faut souligner que la première amélioration technique dans l’histoire de l’homme fut celle qui porta les fabricants de silex à préparer un plan de frappe, de telle sorte que l’éclat corresponde à une forme abstraite, préconçue dans l’esprit, et ne soit pas simplement le résultat de coups frappés au hasard.

Les solides fibreux se travaillent comme les solides stables en tenant compte toutefois du sens des fibres dans le maniement des outils. Étant donné que les végétaux sont les premiers matériaux utilisés par l’homme, il n’est pas étonnant de trouver couteaux, échoppes, ciseaux, perçoirs, herminettes et haches parmi les plus anciens outils, que la culture fasse appel au bois ou au bambou, à la corne ou à l’ivoire.

Les solides semi-plastiques , essentiellement les verres et les métaux, peuvent soit subir une déformation permanente au cours de leur traitement, soit être travaillés comme des solides stables. Assez curieusement, la fabrication du verre a été restreinte jusqu’à nos jours à l’aire méditerranéenne et proche-orientale. Les Chinois en connaissaient bien le principe, puisque maintes formes céramiques de la Chine traditionnelle sont recouvertes d’engobes vitrifiés, mais ils ne cherchèrent apparemment jamais à fabriquer des objets entièrement en verre. Il est très difficile, bien entendu, de formuler une explication pour un phénomène en quelque sorte «négatif», mais on peut remarquer que, d’une part, les Chinois pouvaient satisfaire sans le verre tous leurs besoins en contenants, puisqu’ils possédaient depuis la plus haute antiquité des techniques de poterie extrêmement raffinées, et que, d’autre part, étant passés maîtres dans les arts du papier et de la soie, la recherche d’une matière translucide ne pouvait les intéresser.

En ce qui concerne la métallurgie, on retrouve dans toutes les cultures une chaîne opératoire similaire pour tous les métaux: extraction, fonte (pour débarrasser le métal d’impuretés ou en altérer la teneur) et travail (moulage, martelage à chaud, ciselure à froid). La métallurgie du fer fournit un bon exemple des préoccupations et des problèmes de la technologie culturelle. En effet, une série logique construite d’après les critères de température de la fonte mène à poser en premier lieu les fers doux, obtenus surtout à partir de minerais oxydés. Un processus de réduction et l’élévation de la température de fonte donnent les aciers carburés. Les températures les plus élevées, au-delà de 1 500 0C, permettent de réduire le minerai de fer à l’état liquide, et ainsi de couler une fonte de fer. Très schématiquement, cette série logique présente une certaine analogie avec une série historique. En effet, sauf en Chine, les hautes températures nécessaires pour la fonte ont été des développements tardifs dans l’histoire de la métallurgie du fer. Mais, en réalité, l’histoire de la sidérurgie est bien plus complexe, et ses conclusions rendent difficile la superposition du logique et de l’historique. Par exemple, des méthodes variées de traiter le fer brut: le corroyage (l’étirement d’une barre de fer ensuite repliée sur elle-même et soudée à blanc) ou le cinglage à froid ont abouti, en des points géographiques divers et à des époques historiques différentes, à la fabrication de lames d’épée dont le cœur était nerveux et le tranchant dur. Ou encore, un certain nombre de techniques pour ajouter du carbone au fer afin de fabriquer de l’acier, plusieurs types de trempe ont donné des aciers aussi célèbres que ceux de Sheffield, de Tolède ou de Damas. En d’autres termes, l’évolution historique et la logique technique ne coïncident que très grossièrement et, par conséquent, l’analyse technologique doit constamment se référer aux données historiques et sociologiques si elle prétend être autre chose qu’un mode d’emploi.

La différence entre solides plastiques et solides semi-plastiques tient surtout dans le point de départ, les solides plastiques passant d’un état fluide à un état solide au cours de la fabrication. Les plastiques peuvent être répartis entre trois types: ceux à faible cohésion, comme la terre ou la neige (ces deux matériaux étant utilisés surtout pour l’habitation), les solides plastiques propres et les agglutinants. Tous les procédés céramiques traitent des solides plastiques propres. Quel que soit l’objet à fabriquer, les chaînes opératoires de la céramique retrouvées dans différentes cultures se ressemblent toutes: fabrication puis façonnage de la pâte (modelage, moulage, tour), séchage, application éventuelle d’engobes ou de peinture, puis cuisson.

Les solides souples se partagent entre deux grandes catégories, dont la première réunit les surfaces planes, unitaires, comme l’écorce et les peaux, le papier, les feutres, le tapa. Il est intéressant de noter que les trois derniers de ces procédés de feutrage de fibres végétales ou animales sont nés parmi des peuples voisins: les Turco-Mongols pour le feutre, les Chinois pour le papier et les Indonésiens et les Mélanésiens pour le tapa. Il n’y a pas cependant de filiation technique prouvée entre ces trois procédés, sauf peut-être pour le papier et le tapa tirés tous deux de l’écorce de mûrier. La deuxième grande catégorie de solides souples réunit les assemblages d’éléments longs, que l’on appelle communément vannerie et tissage. La première opération du tissage consiste à assembler les fibres en fils. Il existe deux procédés traditionnels: le fuseau et le rouet, et la transition technique entre fuseau et rouet est suffisamment abrupte pour que l’on puisse parler d’invention réelle. En effet, on peut remarquer la différence entre l’invention du rouet et l’invention de la charrue. L’adjonction d’un coutre et d’un versoir à l’araire, transformant un outil symétrique qui égratigne la terre en un outil dissymétrique qui retourne des mottes d’herbes, permit, jointe à l’invention de fers pour les pieds des bêtes de traction, le labour des terrains lourds et humides de l’Europe du Nord. Mais on peut se demander comment s’est opérée dans la réalité cette double démarche. Les documents actuellement détenus semblent indiquer que l’on inventa d’abord le coutre et le versoir, puis on pensa à les utiliser pour labourer les terrains lourds. Le rouet a été inventé d’une tout autre façon. La torsion des fibres et l’enroulement du fil autour d’une bobine se faisait déjà sur le fuseau. Ce qu’il falait imaginer, c’était comment accomplir cette opération de façon plus efficace. Pour cela, il était nécessaire d’inventer le volant, la bielle et la courroie de transmission. Si donc il n’y a rien dans le fuseau même qui laisse prévoir l’invention du rouet, tout au moins il existe un concept, tordre le fil plus vite et plus efficacement, qui crée les conditions favorables à la véritable invention qu’est la découverte du rouet. Au contraire, pour la charrue, on a l’impression que l’emploi le plus efficace de l’outil a suivi l’invention de l’outil même.

Après l’embobinage du fil, ou le retordage des fils en ce qui concerne les câbles, on peut classer les textiles ou la vannerie selon les moyens employés pour lier les brins. Ce qui différencie la vannerie et les procédés textiles est que, pour ces derniers, il faille considérer aussi cet instrument très important qu’est le métier à tisser, tandis que le vannier n’a besoin que des outils les plus rustiques.

La dernière catégorie de matériau que l’on envisagera est celle des fluides . La corrélation entre les opérations nécessaires: collecter, transporter, et transvaser, et des formes déterminées en partie par les matières employées aboutit à une typologie complète de tous les récipients, allant des digues des rizières aux silos à pommes.

4. Techniques d’acquisition

Les techniques fondamentales de toute société sont celles qui permettent aux hommes de se procurer de la nourriture. La répartition de ces différentes techniques entre pêche, chasse, élevage, cueillette et agriculture est d’une commodité certaine, mais il est malaisé de définir les frontières de l’une à l’autre. S’agit-il de la pêche ou de la chasse lorsqu’on capture des oiseaux avec des hameçons flottants ou lorsqu’on flèche des poissons? Le point commun de toutes ces techniques est la capture d’êtres vivants, qu’il s’agisse des hommes ou des animaux, et partager cette activité selon le milieu aquatique ou terrestre de l’espèce visée est arbitraire.

L’analyse de ces techniques mène aux armes et aux pièges, aux leurres et aux poisons. Les armes sont en fait des outils et des instruments de percussion, mais la richesse de leur typologie exige une plus grande précision dans le vocabulaire utilisé pour les décrire. Il faut donc distinguer les armes de jet des armes de main, et ces dernières sont de nouveau à répartir selon deux critères: la longueur relative de la lame et le type de percussion. L’étude des armes introduit nécessairement l’étude des moyens de défense, boucliers actifs ou passifs et armures. La chasse inclut aussi la capture à la main et le dressage d’animaux pour la chasse.

L’élevage

L’homme n’élève pas différentes espèces du règne animal uniquement pour se procurer de la nourriture, mais pour satisfaire à bien d’autres besoins, voire à des goûts esthétiques, comme dans l’élevage d’agrément. L’élevage comprend ainsi plusieurs modes, depuis la simple déprivation de liberté et l’apprivoisement jusqu’au dressage très spécialisé du cirque. Par ailleurs, les espèces élevées actuellement ne constituent pas une somme ne varietur des efforts de l’homme dans ce domaine. Il y eut des essais infructueux comme l’élevage de l’antilope ou de l’hyène en Égypte dynastique, du chameau en Camargue.

La gamme des espèces élevées par l’homme est étendue. Les invertébrés sont représentés par les vers à soie et les huîtres, et une recherche systématique sur l’élevage inclurait les drosophiles des laboratoires. Les vertébrés comprennent, parmi les reptiles, les couleuvres élevées au Mexique, différentes races de poissons, une vingtaine d’espèces d’oiseaux et une quarantaine d’espèces de mammifères, parmi lesquelles, naturellement, on trouve les populations les plus nombreuses: les canidés, les bovidés, les ovidés, les suidés, les équidés et les camélidés. Parmi les mammifères figurent les animaux dont l’élevage est d’un profit multiple pour l’homme puisqu’ils lui fournissent les bêtes de trait, la viande comestible, le lait, le beurre, les peaux et les fourrures.

Tous les modes de rapports entre éleveurs et bêtes existent. Celles-ci sont parfois à demi sauvages, comme les rennes que suivent les hommes en modifiant à peine les parcours nécessaires à leurs besoins. Le troupeau peut n’être que source de prestige, et, dans ce cas, les éleveurs doivent obligatoirement vivre en rapport avec des groupes d’agriculteurs, que ceux-ci soient dominés ou insérés avec les éleveurs dans une économie complexe.

L’agriculture

L’exploitation du monde végétal débute avec la cueillette que l’on trouve en général associée avec la chasse. Se fier principalement à la cueillette, exige une connaissance approfondie du milieu naturel. Les Kung, peuple bochiman du désert de Kalahari en Afrique, sont capables de nommer deux cents variétés végétales, bien qu’ils n’en mangent que quatre-vingt-cinq. Toutes ces plantes ne font pas partie du régime quotidien car, hormis les périodes de disette, 90 p. 100 de l’alimentation provient de vingt-trois variétés, et 50 p. 100 de la noix mongongo seule. Les Kung connaissent deux cent vingt-trois races animales, mais ne consomment que cinquante-quatre d’entre elles et n’en chassent régulièrement que dix-sept. Cet exemple peut aider les Occidentaux à se défaire de quelques idées reçues. D’une part, ces hommes prédateurs jouissent d’un régime alimentaire équilibré et suffisant, voire excédentaire, car l’étude du bilan énergétique quotidien fait ressortir qu’ils absorbent en moyenne cent soixante-cinq calories et trente-cinq grammes de protéines de plus que ce qui est jugé nécessaire par rapport à leur milieu naturel et pour leurs activités. D’autre part, l’étude de ces dernières montre qu’en une semaine un adulte travaille entre un et trois jours pour rechercher de quoi entretenir lui-même et les siens. Au sein du groupe, 65 p. 100 seulement de la population travaille 36 p. 100 du temps, et 35 p. 100 ne travaille pas.

Quant à l’agriculture proprement dite, c’est-à-dire par définition le travail d’un champ, avant l’époque du colonialisme moderne certaines régions du monde étaient consacrées presque exclusivement à un seul type. Mais partout se trouve la culture des légumes et il faut signaler le rôle historique du haricot comme source végétale de protéines, aussi bien dans l’évolution démographique à Tehuacan, site mexicain (cf. infra , chap. 7), qu’au Moyen Âge européen.

Les activités agricoles s’ordonnent dans une suite logique particulièrement cohérente, car une amélioration ou une transformation dans l’une des catégories d’activités de cette série aboutit forcément à l’amélioration ou à la transformation des autres catégories de la même série. C’est dire que si l’on introduit, par exemple, une charrue sur une exploitation agricole, il sera difficile d’en rester à la transformation des techniques de labour, cette innovation devant inévitablement se répercuter sur les techniques de sarclage ou de récolte. La première opération de cette série consiste dans le nettoyage du sol, qu’il s’agisse de labour pour couper les mauvaises herbes (dans la sole en jachère) ou pour ameublir le sol (ce travail peut être fait avec un bâton à fouir ou avec une charrue mécanique), ou qu’il s’agisse de la coupe et de l’incendie de la brousse ou de la forêt. Couper et brûler, la végétation est le fait d’un mode de production spéciale: l’agriculture sur brûlis. Cette dernière technique, qui se rencontre encore dans toute l’Asie du Sud-Est, en Afrique et en Amérique du Sud, implique une très longue durée des friches; après avoir exploité un coin de forêt pendant un ou deux ans, il faut laisser revenir la végétation forestière pendant des périodes allant de dix à vingt ans.

Le nettoyage du sol est suivi de l’ensemencement, qui peut avoir lieu en même temps que l’épandage d’engrais ou après; la gamme de ces engrais va des algues marines aux cendres en passant par le fumier animal ou humain. Entre l’ensemencement et la récolte se situe la période des soins des plantes, qui consiste pour la plus grande part en des sarclages répétés. En certains cas spécifiques, comme pour le riz irrigué, cette période contient aussi le repiquage de jeunes pousses dans des champs inondés. La récolte comprend, pour les céréales, la coupe et la séparation des grains de la paille, bien que cette opération se situe tout aussi logiquement au début des différentes techniques de l’alimentation, et, pour les cultures de racines, le déterrement.

5. Techniques de consommation

L’alimentation

L’étude des procédés alimentaires suit également une progression logique: préparation, conservation, absorption. La préparation commence d’ailleurs dès la récolte. On situe ici tous les procédés d’égrainage, de piquage, de râpage, de pressage, de broyage qui préparent l’aliment à la cuisson. Les différents moyens utilisés pour rendre aptes à la consommation humaine les aliments carnés et végétaux (rôtir, bouillir, frire, mariner...) ont un très grand intérêt, en dehors du domaine purement technique. Claude Lévi-Strauss a montré que chacun des trois types fondamentaux de nourriture: cru, cuit et pourri a des harmoniques dans les domaines sociologique et religieux.

Les techniques de conservation changent selon le milieu naturel. Il n’est pas pour surprendre que le froid soit utilisé par les Esquimaux pour préserver leur viande, ni la dessication par les peuples vivant en milieu sec et ensoleillé. Le fumage est une technique qui est concentrée en Amérique du Nord. L’étude des techniques de conservation implique nécessairement celle de l’analyse des contenants.

L’absorption des aliments donne lieu à des études de l’esthétique du goût. Celui-ci n’est pas universel mais culturel; ainsi, au Japon, la texture d’un aliment est considérée comme un trait pertinent, ce même aliment paraissant fade au goût européen.

Le vêtement

Il faut distinguer parure et vêtement. Certes, chaque culture élabore ses propres critères à cet égard, mais il est rare de pouvoir superposer ces critères à une distinction entre nécessité biologique et désir culturel. L’étui pénien en Mélanésie ou en Amérique du Sud est-il un fait culturel ou biologique? C’est pourtant un vêtement, si celui-ci doit être compris comme étant essentiel à l’apparition en public d’un homme. Les capes de fourrure des Fuégiens relèvent-elles de la culture ou de la biologie? Elles ne sont pas d’une nécessité absolue, car les groupes de cette région du monde se promènent parfaitement sans couverture.

L’habitation

L’habitation est l’inscription d’une société sur le sol, et reflète donc des rapports sociaux. Il faut distinguer l’habitation de l’habitat. L’habitation est une unité de construction dont les éléments sont le toit, les murs, les planchers et dont la structure est l’agencement de ces éléments en un plan ou, si l’habitation a plusieurs étages, en plusieurs plans. Les éléments de l’habitat sont les différents types de construction, et sa structure n’est que l’agencement entre eux de ces éléments, agencement que déterminent la société et la culture.

Le procédé d’analyse qui consiste à cartographier les différents types d’habitation ne fait ressortir aucune corrélation nette, sinon que les maisons sur pilotis en terrain sec semblent se concentrer dans l’Asie du Sud-Est. En réalité, il faut séparer l’étude de la forme des maisons et celle des principes de construction. Pour ce faire, les constructions se partagent en deux types: celles qui sont érigées avec des murs porteurs et celles qui sont érigées selon le principe de l’ossature, squelette sur lequel on pose des murs et des éléments de la couverture du toit. Or ces deux grandes catégories et leurs permutations se répartissent à la surface du globe de façon à montrer que les principes de construction obéissent aux contraintes du milieu naturel. Si par la suite on redonne forme, au sens propre du mot, aux habitations, on s’aperçoit que la source de celles-ci est culturelle et non point technique. Ainsi verra-t-on en Afrique un groupe descendre de la montagne vers la plaine tout en conservant ici et là une maison ronde à toit conique; mais là où, en montagne, sa maison était à murs porteurs, en plaine elle deviendra à ossature.

Dans le domaine de l’habitation, on peut même procéder à une ébauche de lois. Une première dira que plus le milieu naturel est contraignant, plus la maison et les éléments de la maison sont fonctionnels. Ainsi, dans l’igloo esquimau, non seulement les principes de construction sont très fonctionnels, techniquement très évolués, mais aussi la recherche d’efficacité est poussée à l’extrême. La lampe esquimaude est placée là où elle sera le plus efficace, et sert non seulement à éclairer mais aussi à sécher les vêtements, à chauffer et à cuire. Les Amérindiens de la forêt amazonienne construisent des maisons d’une technicité tout aussi poussée que celle des Esquimaux, mais sans y être contraints par le milieu naturel; leurs critères sont donc plutôt sociologiques que fonctionnels. Tout se passe comme s’il existait une échelle allant du degré zéro de l’habitation (pas d’habitation du tout) à la création par l’homme d’un micromilieu autonome, tel qu’il est possible dans les sociétés industrielles modernes. Sur cette échelle se situerait un point, déterminé par les conditions du milieu naturel, représentant le minimum de construction nécessaire pour que l’homme survive. Ainsi, en milieu arctique, cette habitation minimale, nécessaire à la survie, serait placée assez loin du degré zéro. En milieu tropical, le minimum se confondrait avec le degré zéro. Dans les deux cas, la maison, de par sa technicité, se place assez haut sur l’échelle mais, là où, pour l’Esquimau, elle se situe sur le minimum nécessaire pour la survie ou très près de lui, en forêt amazonienne, elle en est très éloignée. La maison amazonienne répond donc à des besoins sociologiques et culturels, l’igloo à des besoins fonctionnels.

Il est notable qu’une même apparence extérieure ne traduit pas toujours une même façon d’habiter. Ainsi, les longues maisons des Dyak de Bornéo semblent s’apparenter aux pueblos précolombiens du sud-ouest des États-Unis, où un groupe, parfois de plus de mille personnes, habitait des maisons à étages. Cette apparente ressemblance est trompeuse car l’analyse fait ressortir que, chez les Dyak, chaque famille possède une pièce séparée et a un droit absolu d’usage de la grande véranda qui court tout le long de la maison (cf. figure), tandis que chez les Pueblos les pièces n’étaient en fait que des chambres à coucher exiguës où l’on enfermait des réserves, la plupart des activités se passant sur les terrasses en compagnie des autres unités familiales (les pièces rondes ou kivas étaient les lieux de réunion des hommes et des cérémonies religieuses; cf. figure). Les Dyak habitent, comme dans n’importe quel village, dans des constructions avec des murs mitoyens, tandis que les Pueblos ont une vie collective dans une construction de type cellulaire.

6. Les transports

La position systématique des transports est difficile à situer. Ils interviennent en fait à tout moment dans les processus de fabrication, d’acquisition ou de consommation. On fabrique un outil, on se déplace pour acquérir la nourriture, mais aussi on peut transporter à l’habitation la nourriture acquise, il est même possible de transporter l’habitation elle-même, comme ce fut le cas pour les groupes de chasseurs-cueilleurs de la côte nord-ouest de l’Amérique du Nord, qui emportaient avec eux dans leur déplacement saisonnier les planches de leurs maisons en bois.

Outre les voies de communication et leurs aménagements, l’étude logique des transports groupe les actions en portage, roulage et navigation. Les agents du portage comprennent l’homme lui-même et les manières de porter sont aussi variées que le sont les civilisations s’échelonnant à travers les âges. Que ce soit le portage humain ou animal, la préoccupation majeure est celle de l’équilibre de la charge permettant le moindre effort physique.

7. Techniques et culture

Il reste à déterminer le but même de la technologie culturelle, c’est-à-dire à préciser où mène ce type d’analyse. On dira schématiquement qu’existent deux domaines dans l’analyse des rapports entre phénomènes techniques et phénomènes culturels. Le premier pourrait être qualifié d’historique, que l’analyse porte sur une évolution générale ou sur un fait particulier. Par exemple, à Tehuacan, au Mexique, il est possible de suivre tout le processus de l’introduction de l’agriculture et de la sédentarisation depuis 11 000 ans. L’analyse de l’évolution techno-économique des groupes qui ont habité cette vallée démontre que, contrairement aux idées reçues, le passage d’un mode de production – chasse-cueillette – à un autre – agriculture – est un processus long, s’étendant sur plusieurs milliers d’années. En fait, ce n’est que quelque quatre millénaires après l’apparition des premières plantes domestiquées que le régime alimentaire contiendra plus de produits agricoles que de produits de la cueillette. Les documents recueillis dans cette vallée viennent appuyer ceux qui proviennent de villages de chasseurs sédentaires du Proche-Orient, d’où il ressort que la sédentarisation n’est pas forcément liée à la transformation de la cueillette en agriculture. Le passage à l’agriculture est donc une évolution et non pas une révolution, due en particulier à l’intervention de facteurs très complexes.

Comme exemple d’analyse d’un fait particulier dans le domaine historique, l’étude des effets de l’introduction d’une seule invention dans une société donnée est à citer. C’est ainsi que l’introduction de l’étrier en Europe occidentale, vers le VIIIe siècle n’est pas seule à l’origine de la féodalité européenne, mais elle en est un des facteurs les plus importants. La technologie montre que le combat à cheval sans étrier ne peut être le fait d’un homme fortement armé, car le maniement d’une longue lance ou d’une épée exige une assiette latéralement plus assurée que celle fournie par une selle sans prise pour les pieds. L’étrier donne cette assiette et, peu de temps après son introduction en Europe, venant de la Chine, les javelots se transforment en lances lourdes et les glaives en épées. La cavalerie devint donc une arme importante et, si Francs et Sarrazins se battirent à pied à Poitiers en 732, cent soixante ans plus tard, en 891, à la bataille de Dyle, l’armée des Francs fut essentiellement une armée de cavalerie. Mais pour celle-ci il fallait des chevaux, et pour avoir des chevaux il fallait encourager leur élevage. Les grandes confiscations de Charles Martel, à partir de 732, des terres appartenant à l’Église semblent avoir été faites pour créer un ordre de guerriers montés. En retour de la possession des terres et en fonction de la grandeur des domaines, le bénéficiaire était tenu de fournir à l’appel du suzerain un certain nombre de chevaliers armés. La donation de fiefs et l’obligation du service militaire constituent les aspects primordiaux de toute féodalité.

L’autre domaine des études de technologie culturelle, qui ne cède en rien au premier, est celui où se situe l’analyse des rapports directs entre les phénomènes techniques et les phénomènes socioculturels. Il s’agit en réalité d’une recherche où tout reste à faire. On ne peut guère qu’en indiquer quelques directions, quelques lignes de force, quelques hypothèses de travail. Par exemple, A. Haudricourt a suggéré l’existence de rapports entre la culture par clones et l’existence de clans exogames. La culture par clones décrit une agriculture de tubercules, ce qui signifie que la reproduction des plantes se fait par subdivisions de la plante originale même. Une pomme de terre, par exemple, est coupée en morceaux, chaque morceau étant alors replanté. De ce fait, théoriquement, chaque nouvelle pomme de terre est simplement un morceau régénéré de l’individu souche, ce qui est tout à fait contraire au procédé de reproduction sexuelle des céréales où les «enfants» sont semés au vol.

La reproduction par clones exige que chaque exploitant garde chez lui un nombre de lignées suffisant pour répondre aux exigences climatiques de chaque nouvelle saison. Il n’est pas étonnant alors que les régions du monde où ce type d’agriculture est le plus développé soient également celles où se trouvent les systèmes les plus variés d’organisation sociale par clans exogames. En d’autres termes, là où il faut constamment rechercher de nouvelles lignées végétales, il faut aussi, sur le plan de l’organisaiton sociale, chercher à amener un étranger au sein du groupe à chaque mariage.

Il existe d’autres types de rapports entre techniques et cultures. Par exemple, le fait qu’il y ait un rapport étroit entre la structure de parenté et la mise en exploitation du territoire est démontrable dans la plupart des sociétés. La superposition peut être mécanique, lorsque les relations familiales sont en partie déterminées par des rapports de production agricoles. Cependant, le lien est parfois plus profond. Les Arabes ont annexé la région libanaise au cours du VIIe siècle, mais la langue arabe fut adoptée au XVIIe siècle seulement. Or cette langue reflète un trait culturel spécifique aux Arabes, car elle précise que le mariage préférentiel se fait avec la fille du frère du père. Ce type de mariage très particulier semble être adapté aux conditions de vie des éleveurs nomades de gros bétail. Il en résulte en tout cas une forte endogamie de lignée et une fermeture des familles sur elles-mêmes. L’adoption de ce type de mariage par les chrétiens du Liban au moment où ils remplacèrent le syriaque par l’arabe fut certainement facilitée par leur mode de mise en exploitation de la montagne, où l’accumulation de richesses au sein d’une famille correspondait à la création et à l’accumulation de terres pour la culture.

Il ne faut évidemment pas, dans ces exemples, rechercher des liens directs entre le phénomène technique et le phénomène social. Tout au plus une tendance technique reflète-t-elle une tendance socioculturelle. La recherche, concernant aussi bien les techniques que les traits sociaux, doit préciser les structures et les modèles avant de permettre les comparaisons qui sont le but fondamental de la technologie culturelle.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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